Accueil>Séminaire 2014-2015

Paul SERENI,

« Marx et la subjectivité. Un bref retour sur la lecture de Michel Henry »

Jeudi 13 Novembre 2014.

Université Paul Valery Montpellier 3, Site Saint Charles, tram. Albert 1er 18h00 salle des colloques N°2

On peut invoquer plusieurs motifs de souhaiter revenir sur la lecture que Michel Henry avait proposée de Marx dans les deux volumes de Karl Marx, publiés en 1976 par Gallimard[1]. Tout d’abord, malgré la publication de plusieurs comptes-rendus importants au moment de la sortie, on peut souligner, sans je crois sans forcer le trait, que cette lecture n’a pas jusqu’ici véritablement fait l’objet d’un débat public, alors même que beaucoup de travaux qui se sont depuis penchés sur les textes de Marx ont pris en compte son apport. Cette réception discrète, et un peu paradoxale, peut provoquer l’étonnement, comme le fait remarquer Denis Collin:

« Il est curieux de noter qu’une lecture aussi originale et roborative que celle de Michel Henry ait suscité aussi peu de réactions chez les marxistes. Peut-être le Marx de Henry était-il inaudible pour la plupart des marxistes lors de sa première parution, en 1976 [...] mais l’implosion du marxisme dans les années 1980-1990 n’a pas donné plus d’audience à ce gros ouvrage, sans concession et parfois irritant.[...] Il est cependant assez curieux de remarquer aussi que les commentateurs de Michel Henry n’accordent qu’une place très modeste à ce Karl Marx, voire se contentent d’une ou deux allusions, tant cet ouvrage leur semble incongru dans la tradition dans laquelle ils se situent et dans laquelle ils situent Michel Henry. »[2]

Bien que, comme signalé, on ne puisse minimiser l’apport de plusieurs contributions venues aussi bien de l’extérieur[3] que de l’intérieur[4] du marxisme, ce constat  me paraît largement exact. La première raison de proposer de nouveau une étude serait donc la reconnaissance du fait que la perspective d’Henry mérite la discussion.

Conjointement, si on considère que son interprétation roule en grande partie sur la différence entre personnalité et individualité et entre propre et propriété, la seconde raison de proposer un examen serait qu’une telle interprétation nous semble recouper l’intérêt actuel pour les problèmes qui touchent la question des rapports entre personnalité et propriété[5]. Enfin, dans le champ marxiste, quelques textes récents vont déjà dans ce sens et lient ces deux aspects : l’ouvrage d’Hervé Touboul confronte ainsi par exemple la lecture althussérienne de Marx, la lecture d’Henry et le texte de L’idéologie allemande en prenant spécialement pour objet la question de l’individualité.[6]

On pourrait examiner le texte d’Henry en rappelant d’abord l’origine de ses catégories. Cependant, cela amènerait aussi à situer la portée de cette interprétation de Marx dans l’œuvre de l’auteur, ce qui nous éloignerait quelque peu des éclaircissements qu’il peut fournir du concept d’individu chez Marx, qui est l’objet ici. J’ai donc choisi une approche plus simple, qu’on jugera peut-être simplificatrice, qui consiste à confronter la lettre des principaux textes qu’Henry sollicités avec l’interprétation qu’il en propose.

J’ai écrit dans la phrase précédente qu’on jugera peut-être cette approche simplificatrice parce que, comme il ne manque de manières ni d’analyser l’œuvre de Marx, ni celle de Henry, écrire une sorte de compte-rendu critique paraîtra toujours beaucoup trop sélectif, réducteur et insuffisant. Néanmoins, dans le but de clarifier les enjeux, c’est à une telle caractérisation que je voudrais d’abord m’essayer.

J’ai enfin souhaité intituler cette contribution Marx et la subjectivité, sans référence directe à Henry dans le titre, pour deux raisons: d’une part, les questions philosophiques qu’il a décelés ne me semblent pas les produits d’une grille extérieure d’interprétation; de l’autre, elles me paraissent constituer de bonnes questions, même si on ne les pose pas de la même manière qu’Henry et qu’on n’adopte pas non plus en définitive la réponse qu’il leur donne. Je n’essayerai cependant pas ici de justifier cette dernière évaluation, me contentant de la laisser transparaître de temps à autre.

I. Les présuppositions de l’analyse marxienne.

Exprimée en termes larges, la thèse d’Henry est que la pensée de Marx forme une défense et un renouvellement décisifs du concept de subjectivité, concept dont “le caractère décisif a été méconnu en raison de la surdétermination hégélienne qu’il reçoit dans les textes de jeunesse.”[7] L’analyse de Marx repose en effet sur les concepts d’individualité singulière, d’activité vitale, de vie propre, et non plus sur ceux de personne, de volonté et de conscience, toutes notions qui, selon Henry, minorent ou manquent le sens et la portée de la vie individuelle. Le concept d’une subjectivité définie comme manifestation individuelle de l’activité vitale se retrouve ainsi placée au centre de la critique de l’économie politique.

Si l’on choisit d’organiser la lecture à partir de ses principes , on peut la préciser en partant du chapitre VI, intitulé “les dernières présuppositions”. Sous ce dernier terme, qu’il reprend à Marx et Engels et au vocabulaire des Jeunes hégéliens, Henry entend une courte série de propositions qui, une fois admises, ne sont plus ensuite discutées et jouent le rôle d’un corps de principes, mais il entend aussi dire que Marx procède d’une précompréhension précise de ce qu’il convient de vraiment définir comme réel. Ainsi, il fait entrer sous le terme de présupposition plus que le sens que celui-ci possède dans la disposition d’une échelle d’arguments.

De ce point de vue, analysant dans ce chapitre la querelle avec Stirner dans L’idéologie allemande, Henry montre que Marx y trouve la première formulation nette de sa propre conception de l’individu. En effet, bien qu’il faille faire place aux tensions qui traversent les écrits antérieurs, notamment les Manuscrits de 44, il demeure que dans la mesure où “l’essence générique est la transposition immédiate de l’universel, l’humanisme du jeune Marx [...] répète en tout cas des thèmes hégéliens.”[8]

Le texte de L’idéologie...  va en revanche poser les principaux acquis de la pensée de Marx. De ce point de vue, à l’instar d’autres auteurs, dont par ailleurs il ne partage pas les perspectives, Michel Henry considère cette polémique comme décisive. On peut ainsi voir trois présuppositions s’exprimer chez Marx.

1. L’individu

Le point de départ comme le point d’arrivée de Marx sont, selon Henry, l’individualité vivante, qui est d’abord une individualité besogneuse. Henry insiste en effet sur l’importance positive de la notion de besoin dans la détermination marxienne de l’individualité:

“[...] nous comprenons encore un autre caractère non moins essentiel que présente le besoin aux yeux de Marx, à savoir que envisagé dans l’effectivité de son être concret, il n’est jamais manque, négativité, mais l’exercice au contraire d’une potentialité positive de la vie.”[9]

De la même façon qu’il est besogneux, l’individu est, selon Marx, sensible et actif. Dès lors, aussi bien pour préciser ce qu’Henry entend par là que pour poser les éléments de la discussion à laquelle cet exposé sert d’introduction, il peut être utile de s’arrêter un instant sur les sens qu’on peut d’abord donner au terme d’individu.

En grande partie, ceux-ci proviennent, en français comme en allemand, de deux des usages de l’adjectif et du substantif latins individuus et individuum. Le latin possède d’abord l’adjectif: il traduit ainsi soit le grec atomos, soit le terme platonicien ameristos, qui servent à distinguer ce qui est divisible de ce qui ne l’est pas. Bientôt créé, le neutre substantivé individuum est employé dans ce même sens: on le trouve ainsi déjà employé par Cicéron, dans De finibus[10] et les Premiers académiques. Dans un second sens, adjectif et nom sont employés pour désigner ce qui s’applique à l’être individuel ou à l’être propre, par opposition à ce qui convient au genre et à l’espèce. Cette polysémie est ultérieurement fixée ainsi par Boèce dans son commentaire de l’Isagoge de Porphyre:

“Individu (Individuum) se dit de plusieurs façons: est individu ce qui est insécable, comme l’unité ou l’esprit; est individu ce qui en raison de sa solidité ne peut être divisé, comme l’acier; est dit individu ce dont la prédication aux autres semblables ne convient pas; ainsi, de Socrate: bien que les autres hommes lui soient semblables, il ne convient pas de prédiquer Socrate et l’être propre de Socrate des autres hommes.” [11]

Traduisant Porphyre, Boèce glose ainsi la dernière de ses définitions, plus loin dans le même texte:

“On dit des êtres de la sorte (comme Socrate ou ce blanc-ci) qu’ils sont des individus parce que chacun d’eux est constitué de propriétés dont le rassemblement ne sera jamais identique dans un autre: en effet les propriétés de Socrate ne seront jamais identiquement réunies dans aucun autre être particulier, alors que les propriétés de l’homme, je veux dire de l’homme commun, seront identiquement réunies en  plusieurs, ou plutôt en tous les hommes particuliers, en tant qu’hommes.”[12]

D’après cela, quand je vise l’individu Socrate, je ne cherche pas à cerner en lui une humanité qui me serait donnée dans le sujet ou le support qu’est Socrate. En termes scolastiques, postérieurs mais éclairants dans le cas précis, on dira que le terme d’individu ne signifie pas un concept concret, dans lequel par opposition à un concept abstrait, une forme ou une nature m’est donnée dans un particulier, et non à part (ce qui est au contraire le cas lorsque je réfléchis directement sur le concept d’humanité). Dire que Socrate est un individu n’est donc pas la même chose que de dire que Socrate est un homme. Quand je pense un être en tant qu’individu, je vise en lui un rassemblement un, unique et original de propriétés qui peuvent aussi par ailleurs, prises une à une ou plusieurs ensemble, se rencontrer en d’autres hommes. Il ressort de ce qui précède que, quelque soit ses sens plus spécialisés, individuum signifie un être un en même temps qu’un être unique et  singulier (sans préjuger de la réponse à la question de savoir si cette unicité ou cette singularité doivent être entendues de façon absolue ou relative). La position propre d’Henry est de dire que Marx pose un tel être un et unique comme constituant ultime de la réalité.

Si, à titre de comparaison, on reprend brièvement la définition que donne Boèce de la personne, on peut voir que cette saisie de l’individualité s’oppose à sa saisie comme subjectivité personnelle. Le terme de persona convient en effet à “une substance individuelle de nature rationnelle »[13]. La différence, toutefois, n’est pas dans le fait que le terme de personne serait universel, tandis que celui d’individu ne conviendrait qu’aux singuliers. Boèce précise, au contraire, que persona ne convient qu’aux substances particulières ou singulières (ce pourquoi, dans sa définition, la substance de nature rationnelle est bien déterminée comme individuelle). Dans les termes déjà employés plus haut, persona n’est donc pas plus que individuum le nom d’un concept concret. La différence passe bien plutôt entre deux manières de saisir la singularité. Marx privilégie très nettement une analyse de l’agent actif en termes de vie, de corporéité, d’activité immédiate, ce que ne fait pas nécessairement, ou pas autant, la saisie de l’agent comme personne. Dans cette mesure, la subjectivité individuelle s’oppose à la subjectivité personnelle.

J’ai insisté sur le degré d’opposition dans la phrase précédente en précisant “dans cette mesure”, parce qu’il me semble malvenu de renforcer les formulations d’Henry, déjà suffisamment vigoureuses et polémiques, pour reprendre cette différence qu’il pose entre ces deux concepts de la subjectivité. Il est en effet difficile de faire comme si les deux perspectives ne contenaient aucune partie commune, pour la transformer, en somme, en opposition principielle. Par exemple, le souci, en tant que tel, de la vie immédiate et des activités du corps n’est pas un souci propre à une pensée de l’individualité : le concept de personne peut aussi conduire à considérer le corps comme partie intégrante de la personne d’un homme. Il serait également difficile de délier le statut d’homme libre de celui de la personne, et de ne pas faire en sorte que cette liberté passe par un rapport de libre disposition que le sujet entretient avec un corps qu’il considère comme le sien, et qu’on appelle pour cette raison corps propre. Mais, précisément, tout repose ensuite sur la justesse de ce terme de: considérer comme, lorsqu’il est appliqué au corps vivant. Autrement dit, tout dépend du type de rapport, si ce terme convient, qu’on doit établir entre l’individu, son corps et ses activités. Dans les termes employés par Henry, ce que rejette Marx dans les conceptions de l’individu, « c’est la réduction de son rapport à l’être à un rapport de représentation. »[14] Ce sur quoi il insiste, c’est donc, d’une part, l’irréductibilité d’une approche de l’être réel par le concept d’individu à celle qui se fait par le concept de personne; et, de l’autre, le fait que, même si ces différences sont apparemment petites, ce sont précisément celles qui sont décisives.

Restituer cette position de principe, acquise très tôt, permet d’expliquer que Marx refuse également une définition de l’individu par la volonté, définition qui, selon Henry, est directement hégélienne. Marx “rejette la possibilité même de définir la vie individuelle par la volonté s’opposant ainsi à la conception de la philosophie classique d’un sujet libre”[15]. Appliqué notamment à ce que l’on a coutume de nommer philosophie politique, ce principe explique également le rejet par Marx des “théories politiques qui cherchent à fonder l’État sur le libre consentement des citoyens”[16]. Au total, “la critique de la volonté individuelle rejoint [...] celle que Marx a dirigée contre le concept de conscience, et la répète explicitement: elle nous interdit de définir l’individu par sa représentation”[17]. Ces traits  signent selon l’auteur la rupture définitive de Marx avec le dispositif hégélien.

Dans la polémique avec Stirner, qui comme signalé sert de révélateur ou de catalyseur, “Stirner est condamné, non pour s’être fondé sur l’individu réel, mais pour avoir substitué à celui-ci des entités générales, “l’homme” et tout un cortège d’abstractions hégéliennes”[18]. Henry en résume ainsi les résultats:

“La critique de Marx ne se borne pas à reprocher à De Tracy comme à Stirner le jeu de mots par lequel on passe de ce qui est propre à l’individu, à savoir son être même, sa force, son corps, à la propriété comme structure sociale historiquement déterminée. C’est l’hétérogénéité ontologique radicale des réalités qui sont indûment subsumées sous un même concept que souligne Marx. [...] En tant que propriétaire d’un bien économique, plus exactement d’un bien produit par le travail d’un autre, [...] l’individu n’est qu’un bourgeois. L’hétérogénéité de l’essence métaphysique de l’individu et de ses déterminations socio-économiques signifie alors l’impossibilité de définir un individu comme “bourgeois”. C’est cette impossibilité que Marx oppose de façon abrupte à celui qui donne la propriété privée comme une condition de l’existence individuelle.

Pourquoi l’identification de l’individualité et de la propriété est-elle absurde ? [...] L’individu est ce qui ne peut être séparé de soi. Tel n’est justement pas le cas de la propriété privée. Ce qui la caractérise, c’est que le moi peut s’en défaire”[19]

Ainsi, au-delà des positions propres de Stirner, ce qui est refusé est le fait, pour un homme et peut-être en général pour tout vivant, de se considérer comme son propre bien et, par exemple, de considérer son corps comme un bien qu’il possède, trait qui peut se retrouver dans une théorie du sujet vivant comme personne. La position de l’individualité retrouve donc la définition classique de l’individu comme indivisible. Le jugement dans laquelle entre cette définition est que ces êtres indivisibles constituent la réalité de la vie pour un individu humain, et pour tout monde humain possible.

2. La subjectivité monadique

La réunion de tous ces indices permet selon Henry de penser l’individu chez Marx comme une “subjectivité monadique”. La philosophie de Marx est ainsi décrite en abrégé comme “philosophie de la subjectivité monadique”, au moins une fois dans le texte[20]. L’emploi de ce dernier de monade demande  qu’on s’y arrête, ne serait-ce que pour prévenir des objections qui constitueraient ici, je crois, des contresens.

Introduit en français en 1547, monade vient du bas latin : monas, monadis, traduction d’un mot grec signifiant unité qui a une origine pythagoricienne. Dans l’école de Pythagore, il renvoie en effet à l’unité immatérielle qui relie toutes choses. Quelque soit l’influence de cette origine sur Leibniz, il a évidemment surtout été rendu célèbre par ce dernier chez qui il signifie, en résumé, mais dans un usage philosophique relativement strict, une substance simple, inétendue, indivisible, active, douée d’appétition et de perception, qui constitue l’élément dernier du réel[21]. Dès lors, pour autant que même dans un usage dégradé par rapport à cette origine leibnizienne, la monade signifie une unité et une intériorité isolée par rapport aux autres ou fermée sur elle-même, sans rapports extérieurs essentiels, on se heurte à une protestation immédiate, selon laquelle une telle conception est par définition étrangère à Marx, celui-ci ayant laissé suffisamment de preuves qu’il était un penseur de la relation sociale (sans même parler de la difficulté qu’il y aurait à lui prêter l’idée d’une substance immatérielle comme constituant ultime du réel).

Cependant, il ne semble pas que, dans son texte, Henry nomme monade un être dont la définition nie l’idée d’une relation :

“Les déterminations sociales sont des déterminations telles que “se lever tôt ou tard”, “accomplir tel geste”, “faire tel ou tel travail” [...] De telles déterminations ne sont pas seulement individuelles en ce sens qu’elles ne sont compréhensibles qu’à partir de la vie subjective d’un individu, mais pour cette raison plus ultime qu’elles ne peuvent “exister” qu’au sein de cette vie, d’une vie par essence monadique, qu’elles sont chaque fois les déterminations de tel individu particulier [...] Qu’une détermination sociale soit toujours en réalité celle de tel individu, une détermination singulière sise dans un flux monadique et lui appartenant comme “la sienne” ne signifie pas, bien entendu, qu’elle soit pour autant ou qu’elle puisse être la détermination d’un seul individu. Bien au contraire, une détermination n’est sociale, n’appartient à une classe, la définissant et la constituant, que si elle est vécue par plusieurs, par “beaucoup” d’individus”[22]

Quoiqu’on pense de cette position, elle ne ressemble pas à une négation de la place centrale chez Marx du commerce, de la réciprocité, des relations, et de l’activité d’appropriation, qui, à l’évidence, me met d’abord en contact avec une matière extérieure. Sa position consiste plutôt à faire entrer dans la définition d’une monade des notes qui, d’habitude, dépassent largement celle-ci.

On pourrait objecter que, dans ce cas, le terme est simplement mal choisi: il est peu clair et peu représentatif des intentions d’Henry, si elles sont bien celles que nous les avons présentées. Il y a sans doute chez l’auteur un goût du paradoxe qui lui fait choisir un terme dont l’usage est très fortement marqué par les idées d’unité et d’intériorité, pour lire un auteur qui passe pour avoir mis au centre le collectif et les rapports sociaux. Cependant, l’emploi du terme de monade peut aussi s’autoriser de plusieurs autres raisons, que nous restituons ici par ordre croissant d’importance.

Conformément à ce qui a été dit, le terme évite ceux de personne et de personnalité pour qualifier la subjectivité visée. Ensuite, il contient l’idée d’activité spontanée, identifiée par Henry à l’idée de vie. En outre, il appuie la thèse principielle, selon laquelle ces individualités unes et uniques constituent les éléments premiers de la réalité. Enfin, il exprime l’idée sous-jacente que, d’une manière à celle analogue à celle de la monade, dont Leibniz écrivait que chacune d’entre elle était le miroir de l’univers, la subjectivité doit pouvoir  contenir la totalité des rapports sociaux. De cette façon, il n’y a pas de contradiction à poser, d’une part, la subjectivité des rapports et, de l’autre, l’appropriation de la totalité de ces mêmes rapports. Le tout des rapports sociaux, au sens large, peut ainsi être présent en chacun, au moins virtuellement, sans que cela entraîne une dépersonnalisation ou une perte de qualité de la subjectivité.

Cette position pourrait être jugée trop étrange ou trop fantasmatique pour faire partie une théorie sociale, ou pour fonder un jugement de valeur sur l’état social, ce qui semble, aux yeux de beaucoup, être l’un des buts de Marx. Cependant, elle peut du moins s’appuyer sur quelques cas bien réels. Nul ne nie que, par exemple, la possession d’une langue soit définie normativement comme la présence de la totalité des faits et des potentialités de cette langue dans un individu; on ne juge pas alors que cela entraîne une dépersonnalisation ou une perte de la capacité de parole de celui-ci. On admet aussi ordinairement que le fait de posséder aussi entièrement que possible une langue ne diminue pas la possibilité pour un autre individu de se l’approprier de la même façon. Il y a donc des cas ou l’appropriation singulière de la richesse commune est un développement de l’individualité sans diminution du même bien pour les autres. De manière analogue au cas que j’ai très brièvement cité en exemple, Marx, selon Henry, me semble penser le développement individuel comme une appropriation de la totalité des forces productives et des rapports par chacun des membres d’une association.

Si cela est correct en substance, il ressort que la question que pose Marx n’est de toute façon pas celle de l’extériorité ou de l’intériorité des rapports sociaux. La position de principe est que les relations sociales sont, dans un état jugé normal, également mes relations. La question est de savoir “comment se constitue et grandit cette indifférence du lien social au contenu subjectif de la vie individuelle ?”[23]. C’est à partir de là que prennent vraiment sens l’analyse de la division du travail et la critique de la société marchande.

3. Un propos anti-hégélien

L’ensemble de ce propos montre, enfin, que Marx est délibérément anti-hégélien et anti-dialectique, ce qui se marque déjà dans les Manuscrits de 44 :

“Lors même que les présupposés hégéliens règnent encore, le genre qui est censé définir la réalité, la laisse glisser hors de lui, tandis que son prétendu pouvoir unificateur, l’unité idéale qu’il constitue par lui-même, éclate et se disperse dans la poussière de la pluralité atomistique des monades”[24]

De même, la critique marxienne d’une définition de l’individu par la volonté est une critique directe de Hegel, puisque Henry réfère directement cette définition au § 47 des Principes de la philosophie du droit[25]. La formule suivante résume bien cette opposition : “L’effondrement du concept de la dialectique, et de toute la superstructure théorique qui repose sur lui, a son motif ultime dans la découverte de l’essence de la vie”[26].

Cet aperçu permet déjà de résumer le propos d’Henry. Pour Marx, l’essence de la vie est une essence individuelle de la vie. Quel que soit le domaine où ils s’effectuent, la totalité de la vie immédiate est avant tout constituée d’activités et de besoins. Cette définition de l’individualité peut être nommée subjectivité, à condition de ne pas confondre celle-ci avec la volonté, la conscience, la propriété de ses états, de ses représentations et de ses actions et, plus largement, avec ce que l’on a coutume de nommer subjectivité personnelle.

II. Les différents points d’application.

1. Division du travail et classes sociales

Ces traits sont d’abord appliqués à la notion de division du travail, pour la double raison que “Marx a explicitement situé dans la division du travail l’origine des classes sociales”[27] et que L’idéologie allemande “montrait d’emblée comment la relation d’échange et de commerce posée par la division du travail détermine entre les individus des relations qui ne s’explique plus à partir d’eux”[28]. Il faut dès lors, pour Marx, combiner la thèse selon laquelle les relations sociales sont en même temps mes relations, et celle selon laquelle le développement spontané (natürwuchsige) de la division sociale et fonctionnelle du travail transforme les relations sociales en relations extérieures et objectives, à mesure que l’économie sépare la vie d’elle-même.

« Pourquoi la réalité économique est-elle l’aliénation de la réalité ? Parce qu’elle a mis hors jeu l’ensemble des relations vivantes qui n’entrent pas dans le champ de l’économie politique [...] L’illusion de l’utilitarisme, l’illusion ultime de l’idéologie, c’est la définition de la réalité comme réalité économique[29]. »

Il faut évidemment entendre par réalité économique celle de l’économie marchande, puis marchande capitaliste. La question de savoir si l’utilitarisme est bien l’expression philosophique de cette réduction est certainement plus ouverte que ne l’écrit Marx dans L’idéologie..., dont Henry paraphrase ici le texte. On pourrait sans doute aussi discuter l’emploi du terme d’aliénation pour qualifier ce processus. Enfin, Henry néglige peut-être trop la charge polémique et critique que contient l’emploi du concept de division du travail: analyser la société à travers ce concept empêche précisément de comprendre la société comme un organisme, un corps, ou une totalité vue comme un ensemble de parties substantiellement liées, ce qui corroberait par ailleurs les thèses d’Henry. Néanmoins, son approche permet de souligner la manière dont Marx résout la contradiction de la division du travail :

« Parce qu’elle fonde les différentes classes sociales, la division du travail détermine aussi leur caractère le plus essentiel et le plus constant, celui en vertu duquel elles se profilent dans l’expérience [...] comme une puissance contraignante, autonome et “objective”. Le paradoxe qui veut que les déterminations sociales, bien qu’elles soient par essence individuelles, se donnent pourtant à l’individu comme une force étrangère, s’enracine justement dans la division du travail »[30].

Henry s’appuie sur cette analyse pour contrarier l’idée d’une réalité objective des classes, qui, en tant qu’objectives, préexisterait à l’existence des individus :

« Considérons avec Marx la formation de la bourgeoisie. elle s’accomplit très lentement à partir de l’existence d’un certain nombre d’individus d’abord isolés qui s’établissent dans les villes et y poursuivent une activité nouvelle. [... Ce] sont donc des conditions de vie individuelles qui sont peu à peu devenues communes et cette communauté a été renforcée par la nécessité de lutter ensemble contre des conditions contraires »[31].

Il n’y a donc pas de véritable objectivité des classes. Cette dernière n’est qu’un effet, qui signifie seulement que des individus sont maintenant séparés de leurs conditions d’existence, et qu’ils reçoivent d’elles des propriétés qui ne sont qu’en apparence personnelles :

« La classe n’est-elle donc rien d’autre qu’une somme de déterminations dont la réalité réside chaque fois dans un individu donné ? [...] La réalité originelle de la classe n’est donc ni une communauté ni une organisation ni une unité, elle ne peut être comprise comme une totalité[32] »

Cette question oratoire s’oppose à un cliché marxiste qui fait des classes, à elles seules, une réalité historique explicative, et soulignent l’absence chez Marx de la notion d’intérêt de classe. « La généalogie de la classe ne renverse pas seulement la formulation marxiste traditionnelle, selon laquelle la classe détermine les individus » ; pour Marx, la « réalité d’une classe sociale ne lui est pas propre, n’est pas [...] sa réalité, une réalité générique[33] ».

Ce type de phrase doit être apprécié dans le contexte d’une polémique avec les analyses de Lire le capital, et plus largement avec toute lecture de Marx qui privilégie d’autres rapports que les rapports subjectifs. Par là, la lecture d’Henry s’oppose bien à une lecture comme celle d’Althusser, qui écrivait :

« Le rapport de la production est, dit Marx, un rapport de distribution, il distribue les hommes en classes en même temps et selon qu’il attribue les moyens de production à une classe. Les classes naissent de l’antagonisme de cette distribution qui est en même temps une attribution. Naturellement, les individus humains sont parties prenantes donc actifs dans ce rapport, mais d’abord en tant qu’ils y sont pris. Ce n’est pas parce qu’ils y sont prenantes, comme dans un libre contrat, qu’ils y sont pris, c’est parce qu’ils y sont pris qu’ils y sont parties prenantes[34]. »

Bien qu’encore une fois il faille tenir compte de l’aspect polémique de ses énoncés, ce balancement entre être pris et être partie prenante est nettement tranché par Henry dans le sens d’une position première de l’individu, qui considère les rapports comme les siens. Les motifs du refus d’autres positions sont 1) qu’elles s’appuient sur des notions, comme celles d’intérêt de classe, qui sont absentes des textes ; 2) qu’on ne peut lire la société en partant des rapports de classes si l’on considère celles-ci comme des totalités réelles.

2. La définition de la propriété originaire

Cette analyse doit être recoupée avec la saisie de la propriété pré capitaliste inscrite dans les Grundrisse. Comme le fait d’abord remarquer Henry, dans ce texte, “(l)’unité rendue possible par la praxis (du travailleur et des conditions objectives), [...] Marx l’appelle propriété, ou “prolongement de son propre corps”, ou “unité immédiate” du travailleur est des conditions. Dès lors, il existe au moins une forme d’appropriation individuelle très distincte de l’appropriation marchande et de l’idée d’un droit sur une chose :

« si forte est cette unité de l’individu et des conditions matérielles de son travail que Marx va jusqu’à exclure toute “relation” entre eux, tout ce qui impliquerait quelque chose comme une dualité préalable et réelle qu’il s’agirait ensuite de “réunir” cela justement dans cette “relation” »[35]

Si, comme l’écrit quasiment Marx, la propriété est “l’appropriation de la nature comme fonds primitif de consommation et de production” qui réside “dans l’unité originelle de la subjectivité organique et de la nature inorganique”, de sorte que “une telle appropriation n’est pas le fait du travail, mais au contraire sa présupposition”[36] , il faut alors dire que la propriété est “l’une des formes possibles de la relation originelle à l’être comme relation de la subjectivité organique et de la nature inorganique”[37]. Tout particulièrement, on peut remarquer l’emploi du terme de subjectivité non organique, appliquée à la partie de la nature sur laquelle le travailleur a prise : elle signifie que “(é)prouvée dans l’organicité d’un corps est saisie par lui, la nature se donne elle-même comme la totalité soumise à cette prise corporelle et comme un corps”[38].

Le concept de subjectivité vitale inclut ainsi manifestement des choses physiquement extérieures à la corporéité du travailleur. Il permet en retour d’éclairer, et l’enquête sur les formes primitives, et le lien de celle-ci avec la critique de la société marchande. Il fournit donc, à la fois, une des prémisses de la critique de la société marchande capitaliste et une des prémisses de la nécessité du communisme.

En effet, d’une part, la relation naturelle du travailleur aux conditions de travail “se trouve foncièrement modifiée par l’entrée de la vie dans l’économie”[39]. Or, ceci n’est possible “qu’à la suite d’une expropriation arbitraire et brutale qui a littéralement arraché au travailleur ce qu’il tenait en main”. Déjà dans cette mesure, l’accumulation préalable de capital est une violence, puisque “seule la violence a pu délier ce qu’il est naturellement lié (...), briser le cercle organique où la vie trouve son accomplissement premier”. [40] Si l’on rapproche cela de la dénonciation par Marx de l’état de choses existant, on peut voir que c’est “bien par opposition à cet état, qui apparaît rétrospectivement comme idyllique, que le capitalisme est jugé, en dépit du formidable essor qu’il communique à la production, comme un état de décomposition”[41].  

Complémentairement, il est “remarquable de voir que c’est par opposition à la société marchande que la communauté est pensée”[42]. C’est dans cette mesure que Marx fait l’éloge des formes de production antérieures à la production capitaliste: les “formes sociales archaïques n’éveillent, en dépit de leur limitation, la nostalgie de Marx, que pour autant qu’elles opposent aux formes idéales de l’économie marchande la réalité du lien individuel”[43]. De sorte que “c’est bien comme un retour à cet état primitif”, qui fut “celui de la propriété collective de la commune ou de la propriété privée du travailleur lui même”,[44] “qu’est pensé le socialisme”[45].

On pourrait évidemment ici discuter l’expression de “retour à” pour qualifier le mouvement de récupération qu’Henry voit clairement chez Marx. On préférerait peut-être dire que cette récupération de traits sociaux archaïques est plus un mouvement  complexe de reprise qu’un retour. Néanmoins, on parvient ainsi à relier les traces de nostalgie pour les formes prémarchandes à la nécessité du communisme. Cela confirme “de façon irrécusable l’interprétation de la critique par Marx du concept de propriété dans sa relation avec celui de l’individu”[46]. D’autre part, en procédant ainsi, on peut précisément lier l’enquête sur les formes primitives et les quelques lignes énigmatiques dans lesquelles Marx place, à la fin de l’avant-dernier chapitre du Livre I du Capital, une reprise de la propriété individuelle à l’intérieur de la communauté à venir :

“C’est seulement parce que l’instrument de production est devenu collectif que la propriété sociale apparaît comme la médiation et la condition de la propriété individuelle comme le seul moyen d’instituer ou de rétablir l’appropriation immédiate qui caractérise de l’intérieur la praxis organique individuelle (...).” [47]

3. Le capitalisme et son opposé

Ayant ainsi recoupé la description de la propriété originaire avec l’analyse de la division du travail, Henry se penche sur l’analyse du mode de production capitaliste dans le premier livre du Capital. [48]  Son analyse s’ouvre par un constat que peuvent partager nombre de lecteurs: s’il est évident que Marx cherche dans Le capital les lois de la production capitaliste; de l’autre côté, le même livre abonde en remarques descriptives et dénonciatrices de la condition de la classe ouvrière, remarques que Henry qualifie de phénoménologiques, et dont le lien avec le précédent aspect n’est pas très facile à établir. On pourrait n’y voir, après tout, qu’un mélange de discours de niveaux différents:

“La question est donc celle-ci: tout ce que le livre I du Capital contient de considérations relatives à l’existence individuelle des travailleurs [...] n’est-il que l’effet des idées que Marx eut en commun avec bien des hommes de son temps [...] ? “L’humanisme” du Capital n’est-il, pour tout dire, qu’un reste d’idéologie?”[49].

Henry ne partage évidemment pas ce jugement, bien que ce ne soit pas par l’intermédiaire de l’idée d’humanisme qu’il entend résoudre la difficulté. Pour résoudre ce problème d’articulation, intérieur à la théorie du Livre I, il formule ainsi la question : « la situation des travailleurs n’est-elle pas l’effet du système capitaliste et de ses lois? » Cette question peut paraître rhétorique. Mais elle permet de faire voir qu’il s’ensuit naturellement une autre: “Pourquoi cependant les lois économiques ont-elles un effet sur l’individu ?[50] »  Cette formulation  lui paraît  d’autant plus justifiée que :

« c’est précisément quand il est question de la phénoménologie de la vie du travailleur que le Livre I laisse paraître la dissymétrie qui s’institue entre la classe ouvrière pour autant qu’elle désigne les individus au travail et, d’autre part, la bourgeoisie identifiée au capital[51] »

Dès lors, si le Livre I abonde en description des conditions dans lesquelles se déroule la vie individuelle des travailleurs,

“ (n)e serait-ce point parce que ces lois ne sont rien d’autre que la formulation des processus économiques qui ne sont eux-mêmes que l’expression idéale des processus réels de production, c’est-à-dire des multiples effectuations de la praxis individuelle?” [52]

D’une manière semblable à la manière dont il avait montré comment Marx conjugue l’intériorité et l’extériorité des relations sociales, Henry montre alors comment les affirmations théoriques recoupe la description phénoménologique:

“ L’insertion des analyses phénoménologiques dans le Livre I n’est [...] que la formulation concrète de l’affirmation théorique la plus générale de Marx, à savoir la fondation subjective de la réalité économique. Parce que la formation de la valeur réside dans la praxis individuelle, l’élucidation de la première se recouvre avec la saisie de cette praxis.” [53]

4. La communauté à venir

On peut à partir de tous ces indices tenter de dessiner les grandes lignes de ce que serait une communauté d’hommes libres.

“La “solution” du socialisme -de ce qui semble être le socialisme de Marx- est alors devant nous. Elle consiste dans la présupposition inverse de celle de l’économie marchande, dans la présupposition selon laquelle les travaux individuels qui constituent assurément l’essence et la condition de toute production possible, constituent aussi et d’emblée un travail social.” [54]

De nouveau, Henry rapproche la communauté socialiste et les anciennes communautés, cette fois par l’intermédiaire de la notion et du terme de transparence:

“La solution que propose le socialisme prend alors la forme de la communauté. Ce qui caractérise celle-ci, en premier lieu, c’est la transparence des relations sociales. [...]Lorsque tous concourent à une certaine action dont ils partagent le produit, le consommant ensemble, rien d’obscur ne voile ce procès qui ne se sépare pas d’eux, dont la réalité est leur vie même, telle qu’ils l’éprouvent et la vivent”[55]

La solution socialiste de Marx prend la forme suivante:

“Comment la communauté qui rend les relations sociales à la vie et l’individu à lui-même, est-elle possible ? On l’a dit : à la condition que le travail individuel soit d’emblée un travail social”[56]

Henry ne répond peut-être pas clairement à la question de savoir comment le travail individuel pourrait devenir un travail socialisé ou collectif. Cette approche recoupe cependant des interrogations plus récentes sur les différentes manières d’associer des individus, dès lors qu’on oppose une réunion après-coup des productions par l’intermédiaire du marché, et une union constamment présupposée par le fait que le travail est d’emblée un travail social. Henry fait voir une opposition qui pose le problème assez redoutable de la place des intermédiaires et des médiations sociales. Quelques soient les difficultés des propos d’Henry sur l’association, et les distinctions qu’il fait entre socialisme et communisme, sa lecture a donc le mérite d’insister sur ces points[57].

Cette approche se récapitule, par ailleurs, dans l’analyse de la Critique du programme de Gotha de 1875. Marx y fait en effet une critique radicale d’un communisme dans lequel règnerait le principe du droit entendu comme juste rétribution d’un travail.

« Si dans ces conditions un même produit, c’est-à-dire un même travail, défini objectivement demande en raison de l’inégalité des capacités subjectives, un effort beaucoup plus grand à un individu qu’à un autre, il est injuste de donner au premier la même valeur d’échange ou d’usage, qu’au second, puisqu’il a travaillé plus durement ou plus longtemps que lui. »[58]

Le communisme s’annonce donc, au total, comme une reprise ou une récupération de la transparence des anciens organismes sociaux de production; il permet une sur abondance, qui rend inutile la justice, mais qui rend au contraire enfin possible le développement de la subjectivité, par l’effectuation des besoins, et d’un travail entendu comme activité qui correspond au vouloir le plus profond de l’individu. Ces traits sans doute sont peu originaux; l’important toutefois est que la lecture les déduit tous de la présupposition de l’idée de subjectivité monadique. On peut la résumer en reprenant les deux formules employées à propos de la Critique du programme de Gotha. La pensée marxienne du communisme “n’est rien d’autre que la mise hors-jeu de l’idée d’une équivalence possible entre des subjectivités et c’est pourquoi elle nous reconduit à chacune d’elles et à son intériorité propre”[59]. Dès lors, pour Marx, “pas plus qu’il n’y a de mesure de la subjectivité, la subjectivité elle-même ne peut servir de mesure”[60].

III. Personne et individu.

1. Questions

L’abondance du texte invite par elle-même à multiplier les remarques ; je crois donc qu’un tri s’impose, et qu’il convient de se demander préalablement lesquelles sont prioritaires. Ainsi, il serait sans doute possible d’objecter que Marx ne pouvait poser l’ensemble des thèses exposées ci-dessus, au motif qu’il n’emploie à aucun moment des termes semblables à ceux de subjectivité monadique, essence de la vie, ontologie de l’activité, etc. De même, on pourrait reprocher à Henry de n’être pas assez attentif aux termes et concepts spécifiquement marxiens, notamment celui de forces productives[61].

Ce type de remarques repose toutefois, plus ou moins implicitement,  sur la proposition selon laquelle si des problèmes sont traités dans des langages distincts, cela signifie que ces problèmes relèvent d’approches philosophiques mutuellement intraduisibles ou incompatibles. Or, il s’agit là d’une prémisse qu’un lecteur de Marx n’est pas obligé d’admettre. Il peut en effet aussi bien penser que c’est le sens de ces mêmes concepts que Marx appréhende à travers ses propres termes, comme ceux de comportement, de subjectivité organique ou de corps inorganique. Aussi, même si on leur reconnaît une portée restrictive et correctrice, ce type d’objections ne me paraît pas décisif. Il vaut mieux, je pense, centrer une discussion sur l’un des concepts de fond de l’interprétation, c’est-à-dire sur la saisie de la subjectivité, ou, comme nous l’avons dit, sur la différence entre individu et personne.

Dans ce cadre, si l’on suit Gabrielle Dufour-Kowalska, il ne faut jamais oublier que: 1) l’ouvrage d’Henry est commandé par une analyse de la praxis qui se situe dans le prolongement d’une théorie du corps subjectif et de la vie ; 2) ses formules les plus frappantes sont tournées, au-delà de la réfutation des clichés du marxisme officiel, contre la lecture althussérienne contenue dans Lire le capital, publié dix années auparavant[62]. A condition de dépouiller son sens de ce dernier aspect polémique, qui mériterait à lui seul un travail séparé, dans le commentaire d’Henry, ce qui compte est, je crois, l’opposition entre deux manières de saisir l’agent libre et actif, opposition qui passe à l’intérieur de la notion de subjectivité. Comme nous l’avons vu, d’après Henry, ce que Marx entend par subjectivité est un concept d’individu très éloigné de celui de la personne. On peut alors poser les questions suivantes : mettre au centre la subjectivité monadique permet-il d’unifier, au moins tendanciellement, les textes, et d’assurer leur cohérence ? Le concept d’individu vivant peut-il être compris de la manière dont le comprend Henry ? A supposer que ce soit le cas, cela implique-t-il une rupture de Marx avec le dispositif hégélien ?

2. Postulat

On peut soutenir, avec au moins quelque vraisemblance, que l’interprétation assure la cohérence des textes : par exemple, elle éclaire la polémique avec Stirner ainsi que l’enquête sur les rapports primitifs de propriété. On peut également admettre qu’il existe une nette différence entre l’agent comme individu et l’agent comme personne. Comme signalé, il est inutile d’affirmer une hétérogénéité complète entre les deux approches pour soutenir qu’elles sont irréductibles. On peut donc admettre, toutes réserves faites, que Marx met au centre, non la seconde, mais la première de ces approches.

Mais, en supposant cela admis, et indépendamment d’autres aspects, le lecteur peut continuer d’éprouver une certaine insatisfaction, ou, si l’on préfère, une certaine perplexité devant les résultats de cette lecture. Les premières raisons qu’on aurait tendance à invoquer pour expliquer cette impression ne sont peut-être pas suffisantes. Ainsi, s’il est vrai que plusieurs des formulations d’Henry constituent davantage une réfutation efficace des clichés marxistes appliqués à Marx qu’une clarification des buts et des intentions propres de l’auteur du Capital, à mon sens, cet aspect relativement daté du texte peut être assimilé par le lecteur sans qu’il y voit aussitôt une source d’objections. Les raisons de cette réticence ne sont donc pas si faciles à éclaircir qu’il le semblerait. Les impressions de lecture sont toujours, naturellement, subjectives ; mais on peut tenter, en repartant de celles-ci, de préciser l’origine de celles-là.

La lecture d’Henry paraît à la fois puissante, juste, et intenable jusqu’au bout. Elle semble curieusement, malgré l’éclairage qu’elle procure sur maints aspects de la pensée de Marx, manquer de garanties suffisantes. Au moins pour partie, ce sentiment me semble provenir du fait qu’il lui manque un certain nombre d’éléments, qui seraient pourtant nécessaires pour valider pleinement la thèse d’une subjectivité individuelle monadique. Notamment, on pourrait penser qu’il faudrait aussi montrer que le monde mental ou l’outillage intellectuel de Marx comprenait au moins les traits suivants :

1) que Marx ait voulu proposer une telle défense de l’individualité, s’opposant ainsi, par exemple, parmi les discours de défense de la propriété, à ceux d’autres auteurs ;

2) qu’il se soit senti appelé à proposer une théorie nouvelle de l’individualité ;

3) qu’il ait voulu contrarier Hegel ou du moins l’hégélianisme sur ce point.

De ce point de vue, nous rencontrons deux difficultés: d’une part (et cela paraîtra peut-être un argument décisif), les écrits de Marx ne livrent justement pas d’exposé du concept d’individualité, ce qui est curieux étant donné l’importance accordé au concept, et ce qui paraît vraiment paradoxal si on lui prête implicitement les intentions 1) et 2). D’autre part, Henry ne cherche pas à souligner l’insertion de Marx dans le champ des discours contemporains sur la propriété. Cet argument, qui paraît emprunté à l’histoire des idées et contre lequel on pourrait arguer qu’il est extérieur aux préoccupations d’Henry et à sa méthode de lecture, ne nous paraît pas plus faible que le précédent, dans la mesure où, dans ce même ordre d’idées, mais du point de vue d’une chaîne longue de concepts, Henry ne s’intéresse pas non plus à la possible généalogie lockéenne du principe de propriété de sa propre personne pour l’opposer au refus marxien de l’idée d’un “tenir pour” ou d’un “considérer comme” appliquée au corps et à l’énergie contenue dans la personnalité vivante. Or, il paraît difficile de distinguer deux formes de subjectivité et d’analyser la querelle avec Stirner sans jamais se référer aussi à ce principe de la personne propriétaire. Les conséquences d’un tel choix portent donc non sur le détail, mais sur l’ensemble de la lecture. Autrement dit, cela me semble être d’abord dans ce type de raisons qu’on doit chercher l’origine de l’impression bizarre et paradoxale de fragilité qui peut ressortir de la lecture d’Henry.

Si Marx s’était proposé de construire un concept de la libre individualité, on peut penser qu’il l’aurait exposé. Il n’est pas sûr non plus qu’il ait voulu exposer une défense de l’ontologie comme réel individuel. Enfin, son attitude ambivalente à l’égard de la philosophie hégélienne ne peut probablement pas être réduite à la thèse selon laquelle Marx rompt avec la dialectique (ou à la thèse selon laquelle il rejette les arguments et les concepts hégéliens). Remplir ces conditions, pourtant toutes nécessaires pour valider la thèse d’Henry, paraît ainsi très improbable. Mais la conséquence est alors que tout se passe comme si l’affirmation théorique la plus générale de Marx prenait l’allure d’un postulat, c’est-à-dire ici d’une thèse qui découpe un champ, en supposant qu’il y a un intérêt théorique et pratique à le faire, sans que la position de départ puisse être infirmée ou confirmée.

C’est peut-être là aller trop loin et trop vite. On pourrait maintenir l’interprétation d’Henry, à condition de la nuancer en affirmant que Marx a seulement suivi le fil d’une insatisfaction récurrente devant la saisie de l’individu comme sujet personnel. On pourrait notamment pour cela s’appuyer sur sa dénonciation du contrat de travail et de l’échange, définis comme rapport juridique entre deux personnes également propriétaires[63]. De ce point de vue, déduire des indices laissés par Marx une conception générale de l’individualité, qui resterait la plupart du temps sous-jacente et qu’il conviendrait au commentateur de restituer, reste toujours une hypothèse de lecture praticable.

A l’inverse, toutefois, on notera, de nouveau, que jamais Marx ne propose de théorie alternative à celle de la personne et de la propriété de soi, et qu’il ne pose pas non plus en principe  une authentique propriété, qu’il opposerait au droit de tenir sa personnalité pour une chose. Dans le même ordre d’idées, Henry voit dans le refus marxien d’une définition de l’agent par la volonté une critique directe de la définition hégélienne. Or, quand Marx dans Le Capital fait référence au § 47 des Principes de la philosophie du droit, c’est pour appuyer sa propre dénonciation du contrat de travail ; et dans ce même sens il ajoute en note que la position de Hegel était hérétique par rapport à la théorie dominante de la personne.

Le texte d’Henry pose donc un problème épineux, qui porte à la fois sur le fond et sur la méthode. D’un côté, il est difficile de nier la présence massive chez Marx d’une conception particulière de l’individu et de sa liberté. Celle-ci paraît assez proche de la lecture dont on a tenté de rendre compte. De l’autre, on bute sur deux faits qui ne peuvent qu’embarrasser ceux qui voudraient la soutenir: d’une part, il est peu probable que Marx se soit proposé de construire un concept original de l’individualité; de l’autre, les présuppositions de Marx prennent l’allure de postulats. Cependant, Henry n’examine pas vraiment ces deux points.

Lorsqu’un auteur n’explique pas, ou explicite très peu, un point que le lecteur a tendance à ressentir comme décisif, une des hypothèses qui vient à l’esprit pour expliquer ce fait est que son point de départ est pour lui naturel étant donné sa culture (ce qui ne signifie pas qu’il soit injustifié). Dans le cas précis, on pourrait faire l’hypothèse que Marx réinvestissait dans sa conception de l’individualité un certain patrimoine intellectuel. L’hypothèse auxiliaire est que ce patrimoine lui paraissait supérieur aux conceptions antagonistes. Certains arguments ou certaines prémisses implicites chez Marx seraient ainsi des héritages, précocement appropriés et considérés comme vrais; pour cette raison, Marx n’aurait pas jugé nécessaire de les argumenter davantage.

Donnons-en deux exemples. D’après l’interprétation d’Henry, il y a pour Marx impossibilité de véritablement faire de l’ensemble des capacités de la personnalité vivante la propriété de cette même personnalité, ce qui constitue à la fois un apport original et une rupture avec le dispositif hégélien. Or, la thèse selon laquelle la personne est la même chose que la totalité immédiate de la vie propre est nettement affirmée par Hegel[64].

D’autre part, une conception de l’individualité, comme développement d’une diversité harmonieuse d’activités, uni au plus haut degré de satisfaction possible pour chacun, est nettement affirmée dans l’Essai pour limiter les compétences de l’État du jeune Humboldt, qui nomme précisément jouissance ce degré de satisfaction[65]. (On peut retrouver une telle conception, de manière plus allusive, dans les Lettres sur l’éducation esthétique de l’homme de Schiller, qui roule en partie sur le même type de préoccupations[66]).

La thèse d’une rupture de Marx avec ces héritages (censés eux-mêmes indiquer une minoration de la vie individuelle, une réduction de la subjectivité, etc.) paraît dès lors beaucoup moins fondée que ne le pensait Henry. On pourrait aller jusqu’à soutenir qu’elle n’est pas démontrée par ses analyses, mais qu’au contraire celles-ci font pressentir une utilisation relativement libre d’un ensemble de conceptions préalablement posées. Si l’on veut, on peut dire qu’il s’agissait pour Marx d’un patrimoine dont l’usage était sans charge, et dont il a tiré profit pour contrer, aussi bien, des conceptions de la liberté que nous nommerions aujourd’hui libérales, que pour se distinguer de celles qui prévalaient dans d’autres courants socialistes et communistes.

***

La lecture d’Henry retrouve chez Marx des concepts touchant de près des problèmes philosophiques relativement traditionnels: celui de savoir en quel sens un homme en vient à se voir comme sa propriété; celui de savoir comment articuler l’intimité de la vie subjective à l’appropriation communautaire; la différence entre l’individualité et la personne, entre autres ; je ne crois pas qu’on puisse dire, à la lecture des textes, que cela reflète une incompréhension ou une torsion de sa pensée. Son ouvrage me paraît donc déjà avoir eu le mérite de replacer précisément ce type de questions au centre de son œuvre.

Ceci reconnu, en restant dans le cadre d’une critique interne, la lecture d’Henry me paraît fortement rectifiable sur au moins deux points, qui sont pour l’auteur décisifs : 1) l’anti-hégélianisme de Marx, du moins dès que celui-ci a atteint sa maturité intellectuelle ; 2) le jugement qui en découle, selon lequel Marx est censé, en rompant avec l’hégélianisme et la philosophie classique allemande, rompre aussi avec une tradition de minoration ou d’oubli de l’accomplissement de la vie individuelle. Marx me paraît au contraire s’inscrire dans une tradition d’affirmation de puissance de la particularité individuelle, bien présente dans au moins une partie de la philosophie classique allemande, et qui explique aussi qu’il ait mis au centre les rapports de l’individualité et de la propriété.


[1] Michel Henry, Marx, tome I: une philosophie de la réalité; Marx, tome II: une philosophie de l’économie, Gallimard, Collection bibliothèque des idées, Paris, 1976. Toutes nos références renvoient à cette édition.

[2] Denis Collin, “Sur le Karl Marx de Michel Henry”, document en ligne, http://denis-collin.viabloga.com, Mai 1995, p. 2/3 (12/ 01/ 2006).

[3] P. D. Dognin, ”Le Marx de Henry”; Paul Ricœur (qui fut par ailleurs l’un des directeurs de la thèse de Michel Henry sur l’essence de la manifestation): “Le Marx de Henry”; Gabrielle Dufour-Kowalska, Michel Henry, un philosophe de la vie et de la praxis, Vrin, Paris, 1980.

[4] J. L. Petit, “Autour du Marx de Michel Henry: l’ontologie de la praxis”; Jacques Texier, “Autour du Marx de Michel Henry: Marx est-il marxiste?”, Revue de métaphysique et de morale, juillet/septembre 1977, n°3, pp.386-409; Jacques Texier: “La théorie matérialiste de l’individualité dans L’idéologie Allemande”, La pensée, n°219, Mars-Avril 1981, pp. 62-81. Une bibliographie complète des articles qui ont accompagné la sortie du texte d’Henry, avec les références, peut par ailleurs être consultée à la fin de l’ouvrage de Gabrielle Dufour-Kowalska, opus cité.

[5] Voir le débat posé, entre autres, par: Louis Dumont, Homo hierachicus, Paris, Gallimard, 1966;  Homo aequalis, Paris, Gallimard, 1977; Essais sur l’individualisme, Paris, Seuil, 1983; Robert Castel, Métamorphose de la question sociale. Une chronique du salariat, Fayard, 1995, réédition. Gallimard 1999; “Libéralisme et individualisme”, in Questions au libéralisme, Faculté universitaire de Saint-Louis, Bruxelles, 1999; Robert Castel et Pauline Haroche, Propriété de soi, propriété privée, propriété sociale, propriété de soi, entretiens sur la construction de l’individu moderne, Fayard, Paris 2001, réédition Hachette littérature, Paris, 2005; Léon Jaume, La liberté et la loi. Les origines philosophiques du libéralisme; Paris, Fayard, 2000;.

[6] Hervé Touboul, Marx, Engels et la question de l’individu, P.U.F., collection Actuel Marx confrontation, Paris, 2004, voir notamment, pp. 13-30.

[7] Henry, op. cit. T. II, p. 9.

[8] Henry, op. cit. T. II, p. 10.

[9] Henry, op. cit. T. II, p. 65.

[10] Cf. Cicéron, De finibus, 1, 6, 17.

[11] Boèce, Isagoge de  Porphyre ed. sec., 2 7.

[12] Idem, 3, 11.

[13] Boèce, Contre Eutychen et Nestorius.

[14] Idem, p. 23.

[15] Idem, p. 28.

[16] Ibidem, p. 28.

[17] Ibid., p. 33.

[18] Idem, p. 23.

[19] Ibid., p. 38-39.

[20] Idem, p. 145.

[21] Le Robert, article monade , éditions Le Robert, 1980.

[22] Ibid., p. 228-229.

[23] ibid. p. 74

[24] Henry, op. cit. T. II, p. 11.

[25] Idem, p. 28.

[26] Idem, p. 54.

[27] Idem, p. 254.

[28] Ibid. p. 77.

[29] Idem, p. 102

[30] Ibid., p. 256.

[31] Ibid., p. 233.

[32] Idem, p. 233-234.

[33] Ibid, tome I, p. 225.

[34] Louis Althusser, Soutenance d’Amiens, in Positions, Éditions sociales, Paris, 1976, p. 165-166.

[35] Idem, tome I, p. 104-105.

[36] Ibid., p. 105.

[37] Ibid., p. 106.

[38] Ibid. p. 104-105.

[39] Idem, p. 106.

[40] Ibid., p. 111.

[41] Ibid., p. 112.

[42] Ibid., p. 473.

[43] Ibid., p. 475.

[44] Ibid., p.111.

[45] Ibid. p. 112.

[46] Ibid., p.112.

[47] Ibid., p.112.

[48] Ibid., tome II, chapitre XII: “La structure du Livre I du Capital.

[49] Ibid., p. 241.

[50] Ibid., p. 421-422.

[51] Ibid., p. 441-442.

[52] Ibid. p. 427.

[53] Ibid., p. 427.

[54] Idem, p. 470.

[55] Ibid., p. 471.

[56] Ibidem, p. 475.

[57] Cf. par exemple, Jacques Bidet, Théorie générale, P.U.F., coll. Actuel Marx confrontation, Paris, 1999.

[58] Ibid. ,p. 147-148

[59] Ibid., p. 150.

[60] Ibid., p. 148.

[61] Voir pour une critique en ce sens, par exemple Michel Vadée, Marx penseur du possible, Méridiens/Klinsieck, Paris, 1992.

[62] Gabrielle Dufour-Kowalska, Michel Henry, un philosophe de la vie et de la praxis, Vrin, Paris, 1980.

[63] Pour une synthèse récente sur ce point, voir: Isabelle Garo, Marx critique de la personne, Seuil, Paris, 2000 ; Antoine Artous, Marx, L’État et la politique, Syllepse, Paris, 1999.

[64] Hegel, Principes..., additif au § 70, traduction Derathé, Vrin, Paris, 1975.

[65] Humboldt, Essai pour limiter les compétences de l’État, traduction Henry Montchrétien (1867) réédition les Belles-Lettres, préface d’Alain Laurent, Paris, 2004.

[66] Schiller, Lettres sur l’éducation esthétique de l’homme, Sixième lettre.